Couvent des dominicains de Strasbourg

Mercredi 10 septembre 2013

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Jésus s'en alla dans la montagne pour prier, et il passa la nuit à prier Dieu.
Le jour venu, il appela ses disciples, en choisit douze, et leur donna le nom d'Apôtres:
Simon, auquel il donna le nom de Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d'Alphée, Simon appelé le Zélote, Jude fils de Jacques, et Judas Iscariote, celui qui fut le traître.
Jésus descendit de la montagne avec les douze Apôtres et s'arrêta dans la plaine. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon, qui étaient venus l'entendre et se faire guérir de leurs maladies. Ceux qui étaient tourmentés par des esprits mauvais en étaient délivrés.

Et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu'une force sortait de lui et les guérissait tous.

Homélie, par le fr. Gabriel Nissim

 

Trois moments dans cet Evangile : la prière de Jésus, toute la nuit ; le choix et l’appel des douze apôtres ; la rencontre avec la multitude de la foule, dans la plaine, venue écouter et demander guérison.

Or ce n’est pas un hasard si le choix des Douze est immédiatement suivi de l’évocation de toute cette foule qui vient non seulement de Jérusalem et de la Judée, mais aussi des territoires païens du Liban voisin. En effet, toujours, dans la Bible, quand Dieu appelle, choisit quelqu’un – ici les apôtres, et derrière eux, c’est toute l’Eglise qui est présente – cet appel est à mettre en relation avec le cri de la souffrance humaine que Dieu entend. Tel est le cas pour l’appel de Moïse, des prophètes : et ici, l’appel et le choix des Douze est relié à tous ces gens qui aspirent à entendre la parole de Dieu comme à être guéris. Toujours aussi, dans la Bible, quand Dieu choisit, « élit », une personne ou un peuple (on parle du « peuple élu ») ce n’est pas pour lui seul, mais pour partager cette élection à tous, à toute l’humanité. Tel est le cas pour Abraham et pour tout Israël. Tel est le cas pour les Douze – et c’est bien pourquoi ils sont douze, afin de signifier qu’il s’agit du nouveau peuple de Dieu, puisqu’Israël compte douze tribus.

Cela veut dire qu’aucun chrétien ne l’est seulement pour lui-même ; l’Eglise n’est pas pour elle-même ; nous sommes appelés toujours pour les autres, pour tous les autres. Notre prière nous conduit à entendre avec Dieu ce qu’il entend lui-même de la soif de sens et du besoin de guérison des hommes, dont la souffrance crie vers lui de partout, aujourd’hui comme hier.

Cet Evangile se termine alors par cette phrase : « une force sortait de lui et les guérissait tous. » Eh bien, ne nous trompons pas : cette même force, nous la portons en nous, nous aussi. Face au mal nous avons reçu, chacun, cette force de Dieu sous forme de dons divers pour guérir ceux qui souffrent. Alors demandons-nous : « moi, quel don m’a-t-il été fait ? Quelle force Dieu m’a-t-il donnée pour porter remède au mal dont souffrent les autres ? » Et si nous doutons de nous-même, ce qui serait bien normal, nous aurions pourtant tort, car le don par excellence que Dieu nous fait à chacun, c’est la force de son Souffle, de son Energie divine – l’Esprit saint lui-même. C’est cette « puissance » de l’Esprit saint que nous invoquons sur le pain et le vin à la messe, et c’est la même énergie que nous invoquons sur nous, pour que nous devenions aujourd’hui le « Corps du Christ ».

Cette puissance peut faire aujourd’hui encore des miracles – pas de l’ordre de ce que nous appelons habituellement « miracle », mais dans l’ordre de la fraternité jusque dans les situations les plus inhumaines. C’est justement ce que je lisais dans un beau livre où l’auteur rencontre un rescapé du Goulag qui y a passé dix-neuf ans. Cet homme, écrit-il, «  en est revenu sans s’être aigri, convaincu au contraire de la bonté des gens, se réjouissant d’avoir enrichi son cœur par la fréquentation, au-delà du cercle polaire, de Russes simples. » Et l’auteur ajoute à propos de cet homme : « Il m’a beaucoup parlé des gens du camp, qui, réduits à l’état de bétail ou d’animaux sauvages, avaient pitié des autres et, poussés à la dernière extrémité, refusaient de contribuer à la perte de leur prochain ; démunis, à peine vivants, ils aidaient encore leurs compagnons de misère, et leur bonté n’était en rien diminuée, ni par la neige, ni par un froid de 40°, ni par les différences nationales… » (Vassili Grossman, La Paix soit avec vous, Notes de voyage en Arménie, Ed de Fallois/ L’Age d’Homme, Paris 1989, p. 88 – un très beau livre !).

Je ne sais, frères et sœurs, si nous ferons des miracles, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’Esprit de Dieu est en vous, est en moi, et qu’il est une vraie force pour guérir, une force pour aimer.