Groupe des « Amis de La Vie » de Lyon

Compte rendu de la rencontre du lundi 10 février 2014

 

 

Nous nous retrouvons environ 40 personnes ce lundi soir avec Christian TERRAS, rédacteur en chef de la revue Golias.

 

Nous accueillons d’abord quelques nouveaux qui s’étaient annoncés puis nous donnons rapidement la synthèse du week-end de Belley.

Nous laissons ensuite la parole à Christian Terras qui était venu nous rencontrer l’an dernier le 18 mars 2013 ; il nous avait alors partagé son itinéraire personnel puis ses interrogations suite à l’élection récente de Jorge Bergoglio (J.B.) comme Pape François.

« Je vous avais dit mes réticences, je ne reviendrai pas sur le passé même si des questions restent préoccupantes sur les droits de l’homme. Il n’a toujours pas reçu officiellement la présidente des mères de la place Mai en Argentine.

Pour moi le bilan est contrasté sur le fond et sur la forme. Il faut prendre en compte les raisons qui ont conduit à son élection. L’Amérique Latine (A.L.), vivier du catholicisme mondial doit faire face à des mouvements populaires dans plusieurs pays : Venezuela avec Chavez, Bolivie avec Morales, Argentine avec Kirchner, Equateur avec Correa. Ces mouvements sont des mouvements politiques de base qui ont comme objectif la promotion populaire ce qui retire de l’influence et du pouvoir à l’Eglise d’Amérique Latine. Ils sont en concurrence dans plusieurs domaines mais particulièrement sur le plan caritatif. L’Eglise pense avoir la solution pour le problème des pauvres d’où la formule : « Une Eglise pauvre pour les pauvres », ce qui peut sous-entendre « les pauvres appartiennent à l’Eglise». J.B. affronte ces mouvements populaires sur leur terrain pour faire apparaître le projet de l’Eglise sous un jour attrayant.

A Buenos-Aires, J.B. ne souriait jamais ; Le Pape François sourit, est-ce une mise en scène ?

Tout est pensé politiquement pour présenter une face plus séduisante devant les secteurs populaires profanes qui s’adresse aux plus petits, aux pauvres. Il s’agit d’un enjeu géopolitique par rapport à l’Amérique Latine. L’Eglise voit échapper son hégémonie spirituelle, universitaire et politique et craint que des pays d’A.L. fassent évoluer les lois de ces pays surtout sur la famille dans un sens contraire à la doctrine du catholicisme.

L’autre problème en A.L. est la dynamique des églises évangéliques ; le Pape François veut les combattre sur le terrain médiatique, en particulier dans ses homélies du matin dont une petite phrase tourne en boucle sur twitter et dans les médias. Il veut ainsi fidéliser les catholiques et retrouver la périphérie (ceux qui ont quitté l’Eglise pour diverses raisons). Au Brésil 15 millions de catholiques sont devenus évangéliques d’où une réelle inquiétude. La mouvance évangélique gagne des parts du marché religieux partout dans le monde.

Autre dimension : l’utilisation récurrente de la catégorie de pauvre et la forte résonance positive de ce mot en Argentine, en A.L. : pauvre, travailleur, citoyen sont des mots différents utilisés avec des traditions différentes. Les mots pauvre, populisme ont un sens de conservatisme populaire ou progressisme populaire selon qu’ils sont utilisés par la banque mondiale ou les mouvements sociaux de libération.

Puis C.T. évoque le vieux conflit du catholicisme entre libéralisme et socialisme. La sphère libérale semble l’avoir emporté mais les nouvelles crises économiques entraînent une recomposition. Le monde, la modernité sont les grands ennemis par rapport au catholicisme authentique. Comment prendre en compte la doctrine sociale de l’Eglise (D.S.E.) énoncée dès la fin du 19ième siècle ?

Depuis février 2013, on sait que la charge de la papauté peut s’arrêter ; A partir de cette démission, la papauté ne sera plus jamais comme avant ; la perte de foi en l’autorité papale est réelle. Pendant des décennies il y a eu omerta sur les problèmes des prêtres pédophiles et sur les scandales financiers. Benoît XVI était dépassé par tous ces problèmes : mafias internes et courtisans au cœur de la collégialité, petit monde clos qui agissait en toute impunité. Après cela il était important pour les cardinaux de tenter de sortir de l’ornière.

Jean Paul II a eu une stratégie de béatification ; François a une stratégie médiatique de l’énonciation, des signes, des symboles. Le messager est-il plus important que le message ? Combien de temps les gestes auront-ils du sens s’il n’y a pas de changements doctrinaux fondamentaux ? François a été élu pour les chrétiens classiques, pour ne pas toucher aux fondamentaux. Il n’y a pas actuellement de projet catholique alternatif, lequel n’est possible que si d’autres groupes le font leur. L’Eglise est présentée comme « un hôpital de campagne pour soigner les compagnons de route ». Sur le problème des divorcés remariés dans l’Eglise, la parole de François invitant à la compassion est un effet d’annonce donnant une respiration nouvelle. Mais peut-on prendre au mot les paroles sur ces questions ? Le cardinal Lehman, président de la conférence épiscopale allemande, suite à cette parole de compassion du Pape a donné le feu vert à un texte de son diocèse évoquant l’accès aux sacrements dans le cadre d’un accompagnement ; Il a été convoqué à Rome et a dû dire que le texte avait été publié contre son gré. « On éteint l’incendie pour éviter toute propagande ».

François souhaite retrouver une proximité humaine et spirituelle de l’Eglise qui était perdue sous Benoît XVI mais cela inquiète au Vatican. Il a nommé une curie plus mondialisée pour redorer le blason de la papauté et remettre de l’ordre au Vatican. On est dans un rapport de forces. François n’a pas sous estimé les problèmes internes au Vatican mais il a sans doute sur estimé pouvoir en venir à bout. La réforme de la banque au Vatican n’est pas aussi simple que prévu.

L’Opus Dei et un lobby né aux U.S.A. se livrent un combat sans merci pour y prendre le pouvoir, mais François a besoin de ces groupes pour sa pastorale missionnaire ; il ne peut pas mettre sur la touche des réseaux puissants (…et très riches!). Il est confronté à une réalité et doit composer avec. Pour gouverner, il faut rassurer, mettre le curseur au centre pour assurer une certaine continuité et donner de l’espérance sans inquiéter sa droite ecclésiale. Il faut de solides qualités, des convictions et un témoignage qui fait choc. Comment conquérir les médias sans devenir leur jouet ? François a marqué l’année 2013 ; l’Eglise catholique est perçue différente ; l’année 2014 sera décisive pour transformer l’essai ».

Puis on reprend la notion de politique et religieux : « De plus en plus de gens qualifiés remettent en cause le fonctionnement politique car opposé à l’humain. Comment arriver à trouver des points de convergence ? Dans l’Eglise, de même on ne peut plus fonctionner comme 50 ans auparavant. Comment revoir les bases, les dogmes et retrouver l’humain au plus profond ? François a une posture de témoignage fort ; ses effets d’annonce suscitent des espoirs même dans les périphéries (exemple de Lampedusa).

François s’est présenté d’abord comme évêque de Rome mais il est replacé par les médias comme Pape ; tout fonctionne comme s’il était d’abord Pape. Il cherche à recrédibiliser son institution, à ramener dans l’Eglise des personnes qui se sont éloignées. On reconnaît l’importance de la protection des enfants mais le même jour à l’ONU, le diplomate du Vatican ne reconnaît pas la responsabilité systémique de l’Eglise et lâche les individus. On ne prend pas en compte les enfants et l’Eglise ne sait pas se positionner comme humble et servante travaillant à une remise en question.

On ne met pas en doute la volonté de François de travailler en synodalité ; que les églises locales qui sont en première ligne sur des questions sensibles prennent leurs responsabilités.

Oui le Pape François fait le ménage et met à ses côtés des gens fidèles. Pour le moment cela ne nous conduit pas à un projet d’une réforme fondamentale de l’Eglise catholique, réforme faisant appel à l’intelligence de la foi chrétienne. On a des craintes par rapport au travail des théologiens. Le Cardinal Martini disait : « On est dans des zones grises » ; on est dans des configurations qui ne s’expriment pas en termes de bien/mal, bon/mauvais ; nous ne sommes pas des catholiques de certitudes. Comment rentrer en relation dialogique avec les scientifiques »?

 

Puis nous abordons le 2ième thème de la soirée : les liens entre l’Eglise de France et « la manif pour tous ».

Christian nous dit : « Dans un texte où il parle des familles, Mgr Brunin, évêque du Havre, fait le constat que l’on est devant certaines réalités culturelles et humaines et que le PACS est insuffisant car il ne donne pas certains droits aux couples homosexuels. Il n’emploie pas le mot mariage mais pacte d’union civile. C’est une position intelligente et l’épiscopat pouvait entrer en dialogue avec le gouvernement. Mais le 15 août 2012 Mgr Vingt-Trois  demande que soit lu dans toutes les églises un texte de prière pour la France dont on ne retient que la notion de « mariage pour tous ».

Mgr Vingt-Trois a un rôle politique et Mgr Barbarin joue un rôle médiatique avec un discours inaudible sur le plan humain. L’épiscopat choisit la croisade sur les réseaux sociaux avec le feu vert de l’institution. C’est un catholicisme très organisé avec la fondation Jérôme Lejeune, l’alliance Provita et les AFC (associations familiales catholiques) plus les évangéliques et les musulmans fondamentalistes. L’épiscopat français de culture de tradition conciliaire a cependant pris la voie de la croisade. Il est à la fois conservateur sur les questions éthiques et moderne pour utiliser les réseaux sociaux ; dans certaines paroisses il y a des appels à la mobilisation. L’Eglise est une des rares institutions qui sait mobiliser massivement. Au cœur de la manif, il y a des tensions, on éloigne civitas, proche de la fraternité St Pie X. Puis une passionaria Frigide Barjot fait « monter la mayonnaise » et est utilisée par certains évêques. Puis on se rend compte qu’elle devient incontrôlable et arrive à dire : « Je suis tolérante ; je comprends que les homosexuels aient des droits ». donc on l’élimine et Ludovine de la Rochère, ancienne responsable de la communication de l’épiscopat prend le pouvoir ; c’est quelqu’un de contrôlable. Aujourd’hui, c’est un mouvement qui incarne une parole d’Eglise plus responsable, canalisé dans un rapport de force qui ne veut rien lâcher avec une vraie stratégie sur les réseaux sociaux ». Puis nous évoquons les trois dernières manifs des 19 et 26 janvier et du 2 février.

A la question : « comment l’Eglise d’ouverture à laquelle on aspire s’exprime aujourd’hui ? en France ? en Amérique Latine ? » Christian répond : « Force est de constater que le catholicisme conciliaire a perdu de son impact. Jean Paul II a été moderne dans sa communication mais pas dans son message. L’Eglise s’est renouvelée sur des bases identitaires (« l’architecture d’un dogme disciplinaire » pour Maurice Bellet) et c’est là que les forces existent et qu’il y a des vocations sacerdotales. Avons-nous assez de force pour contrer la dynamique identitaire en face ? Vatican II était rentré en rapport dialogique avec le monde mais le christianisme conciliaire est mis sur la touche. On n’a pas fini d’en mesurer l’hémorragie, de porter la blessure du catholicisme d’ouverture condamné. On a enlevé le laboratoire de recherche de l’institution, de l’intelligence de la foi quand jésuites et dominicains ont été remplacés par l’opus dei sous Jean Paul II. « Nous sommes l’Eglise qui sauvera l’Eglise » disait Escriva de Balaguer, fondateur de l’opus dei, ce qui est une vision d’un catholicisme théocratique. A nous de prendre les moyens que les autres ont pris ; nous sommes obligés de rentrer dans un rapport de force ; il est intéressant de regarder l’évolution des Eglises d’Allemagne et de Suisse…  ».

 

Nous remercions Christian pour sa longue intervention.

Puis nous informons tout le groupe d’une rencontre organisée par la CCBL où sont invités différents groupes du catholicisme d’ouverture ; nous y serons présents en tant qu’ « Amis de La Vie ».

La prochaine rencontre de notre groupe sera le lundi 24 mars à 19h à St Maurice. Puisque nous représentons un journal nous parlerons de ce journal à partir d’un questionnaire qui sera envoyé à tous avec l’invitation à la rencontre.

La soirée se termine dans la convivialité en partageant nos pique-niques.

 

Bien cordialement à tous.

 

Madeleine Viallefont